Viktor Frankel, contemporain de Freud et d’Adler, est né en 1905, à Vienne, dans une famille juive demeurée fidèle à sa Tradition. Ce fait a toute son importance quand on considère justement que les deux autres grands inventeurs de l’analyse – Freud et Adler – ne s’inscrive pas aussi positivement que Frankel dans la ligné de cet héritage, une réflexion sur le sens.
Après avoir été un temps directeur de l’Hôpital Rothschild de Vienne, sous étroite surveillance policière, il sera finalement arrêté par la Gestapo et déporté en camp de concentration avec ses parents et sa première épouse. Il fera pendant quatre ans l’expérience de la déportation. A la libération ; Viktor Frankel apprend l’extermination de toute sa famille. Si l’essentiel de la logotherapie était effectif avant la guerre ; c’est surtout à partir de 1946 qu’elle connaîtra son plein essor. Frankel vit le fait d’être rescapé comme un évènement inexplicable, une seconde chance pour mener à bien son projet.
Frankel propose une classification des névroses, et, plus généralement des troubles psychiques qui, tout en incorporant l’apport freudien, ne s’y limite pas. A coté des névroses somatogènes (d’origine organique), et des névroses psychogènes (précisément décrites par Freud), Frankel admet un troisième groupe de névrose qu’il qualifie de « noogènes » (consécutives à la frustration du principe de sens). Si tant de personnes souffrent (au point d’en « tomber malade »), c’est, bien souvent, moins parce qu’elles sont frustrées d’une ou de certaines forme de plaisir, ou parce qu’elles n’occupent pas la place au soleil qu’elles pensent mériter, que parce que leur quête du sens est résolument frustrée, empêchée, recouverte par les conditionnements, et, par conséquent méconnue d’elles et inexprimée. En posant ce constat, Frankel ne définit pas seulement l’une des sources possible de la souffrance psychique, il va bien plus loin encore, puisque ce constat constitue un diagnostic des tendances de l’époque. Après Auschwitz et Hiroshima, la reconstruction du « monde libre » s’est faite au prix d’un développement sans précédent de la société de consommation. La solidité des liens traditionnels, mise à mal par les brusques transformations économiques et culturelles, à laissé place à un immense « vide existentiel » dans lequel Frankel discerne le point d’origine de nouveaux maux (dépression, phobies, schizophrénie, psychoses d’un nouveau type, addictions, etc.) Cette situation de « perte de sens » ne concerne pas seulement quelques cas isolés, mais elle constitue l’indice d’une véritable névrose collective ? Dépossédées de leur dynamique existentielle, des multitudes de sujets fragilisés, so soumettent quel qu’en soit le prix, aux attentes des « autres » (conformisme) ou au diktat de quelques-uns (totalitarisme).
L’idée même que la recherche et l’affirmation d’une raison de vivre suffise à maintenir un être humain en vie, fur posée comme un préalable à ce qui deviendra la logotherapie. Selon Frankel, nulle épreuve n’est moralement insurmontable.
L’expérience humaine et l’expérience clinique aidant, Frankel identifiera trois manières fondamentales de trouver un sens à sa vie : « les valeurs de création » (au nom desquelles une personne peut s’investir dans une œuvre, dans un travail, dans la défense d’une cause) ; « les valeurs d’expérience » (liées au choix d’une vie culturelle riche, ou bien à une rencontre unique avec un être unique) ; « les valeurs d’attitudes » (lorsque nous sommes confrontés à une situation accablante et que nous ne pouvons pas changer, à tout le moins nous appartient-il de changer notre attitude à l’égard de nous-mêmes, de définir quelle attitude nous choisissons d’adopter face à ce qui a l’allure dune fatalité, séparation irréversible, disparition d’un proche, maladie incurable, etc.). Ces trois orientations de sens possèdent une dimension universelle : chaque partie de l’humanité, et chacun comme chacune, quel que soit le secteur de l’humanité auquel il ou elle se rapporte ou en lequel il ou elle se reconnaît et appelé à se confronter à ce choix fondamental.
Si nous ne sommes pas libres, ni toujours libres, de changer les conditions de notre existence, nous demeurons entièrement libre de transformer notre attitude à l’égard de ces mêmes conditions. Or, c’est dans l’interstice de cette nuance – nuance de taille – que se loge une définition tout authentique et toute véridique de la liberté.
Didier Friederich, Psycho-somatothérapeute